
15 questions sur Futurotextiles avec Caroline David – Commissaire Générale des expositions Futurotextiles
9 Oct 2025
Bonjour, vous êtes la Commissaire générale des expositions réunies sous le label générique de “FUTUROTEXTILES”.
Futurotextiles 7 à Osaka vient de se terminer. Le public était au rendez-vous, puisque près de 400 000 visiteurs ont visité cette exposition organisée au Nagai Park, à l’occasion de l’exposition universelle OSAKA 2025. Ceci est une occasion de faire un retour sur le parcours de Futurotextiles qui va fêter ses 20 ans en 2026.
Futurotextiles a vu le jour à l’initiative de lille3000. C’était un concept très novateur qui venait compléter les grandes expositions d’art contemporain en programmation. Dès le début, j’ai souhaité y associer les sciences, la technologie, le design, la mode et l’art contemporain, afin de mettre en avant la richesse du textile et particulièrement des textiles innovants au sein de leurs différents secteurs d’application et cela pour un très large public.
Il s’agissait de mettre en lumière des textiles intelligents, durables, innovants et cela afin d’élargir notre perception du textile au-delà du vêtement, en révélant ses applications dans des domaines tels que l’architecture, la médecine ou l’aéronautique. Futurotextiles proposait un regard croisé et prospectif sur les usages du textile de demain et c’est toujours le cas presque vingt ans après.
À ce jour, il y a eu en tout 35 expositions sous le label Futurotextiles dans 30 villes dans le monde, comme Lille, Shangaï, Milan, Berlin, Buenos Aires, Cordoue, Bucarest, Prato, Dubaï, Kortrijk, Barcelone ou encore Casablanca…
Ces expositions se sont tenues dans des lieux aussi variés que des musées, des ambassades, des instituts culturels français, des écoles d’ingénieurs, ou bien encore le Pavillon France le temps d’une exposition universelle…
Je citerai Textifood à Milan en 2015 qui a eu lieu lors de l’Exposition Universelle et qui mettait en lumière l’intérêt des créateurs et de l’industrie pour des textiles réalisés à partir de déchets de plantes comestibles (comme par exemple,la feuille de bananier utilisée par Ditta Sandico pour créer ses robes, ou la fibre issue de l’écorce de baobab utilisée par le créateur Eric Raisina, ou encore un sac réalisé à partir de la soie du lotus par la maison de haute maroquinerie parisienne Dognin). Beaucoup des créations exposées ont fait l’objet de commandes spécifiques.
Futurotextiles 7 à Osaka est le fruit d’une une collaboration entre les équipes de lille3000 et celles de l’entreprise Yanmar Holdings Co. Ltd., et de Waku Waku Park Create Co. Ltd., qui ont mis à notre disposition le bâtiment du Flower Grennery Nature Information Center du Jardin Botanique du parc du Nagai, un endroit très fréquenté pour des activités de loisirs par les habitants d’Osaka. Ce cadre très intéressant nous a permis de développer une exposition répartie autour de 3 thèmes : Les Fibres Naturelles & Biosourcées, Upcycling & Recycling et les Savoir-faire, entre Traditions et Innovations.
J’ai souhaité en effet valoriser la création, le savoir-faire et l’innovation japonaise et son dialogue très actuel avec des créateurs français. Ainsi, on trouve aux côtés de Kunihiko Morinaga, fondateur de la Maison Anrealage, Tony Jouanneau (Atelier Sumbiosis, Paris), qui a collaboré avec des artisans japonais pour créer une teinture pour textile à partir de squelette d’oursin. J’ai également fait le choix de mettre en valeur Aurélie Lanoiselée, qui sera pensionnaire à la villa Kujoyama en 2026, pour son travail réalisé à partir de dentelle, notamment celle de Calais-Caudry-Solstiss, dans les Hauts-de-France.
Si l’on met de côté ce cadre très particulier des Expositions Universelles, Futurotextiles a également parcouru le monde dès 2008 dans un format plus réduit, appelé “MIX”, clé en main, qui permettait, en renouvelant à chaque fois les créations et éléments présentés, de faire circuler l’exposition et de la faire découvrir à des publics très variés.
La précédente grande édition avant Futurotextiles 7, Textimoov!, s’inscrivait, dans le cadre des Jeux Olympiques, organisés en France. La thématique du sport avait été retenue pour l’exposition.
Le textile est présent dans tous les pays et les recherches et développements y sont permanents.
Une exposition comme Futurotextiles se renouvelle à chaque fois un intégrant les dernières tendances les innovations et des prototypes. Quasiment tous les pays ont leur histoire textile et un patrimoine. Je dois ajouter que dans plusieurs pays, l’Institut Français nous a soutenus et a favorisé d’une façon très précieuse les échanges grâce à son réseau et ainsi les demandes.
Aucune exposition, en effet, n’a été identique. Certaines se sont inspirées des grandes éditions, comme ce fut le cas pour Futurotextiel à Courtrai ou pour l’ouverture du Centre des textiles innovants (CETI à Roubaix) ou encore pour les Expositions Universelles. Elles se sont adaptées aux espaces et se sont enrichies par des productions et des créations locales en cohérence avec les thèmes développés.
Certaines éditions ont mis en avant les textiles dans l’espace, d’autres les textiles dans le domaine médical ou encore les textiles biosourcés. Un autre facteur était le lieu choisi de l’exposition qui déterminait parfois la thématique spécifique en tenant compte des orientations locales du pays ou de la ville accueillant Futurotextiles.
Le textile évolue et est au cœur des grandes intentions pour des comportements plus durables. Les chercheurs mettent au point tous les ans de nouvelles fibres plus vertes et plus respectueuses de la planète. Une exposition telle que Futurotextiles permet de faire la synthèse de ces innovations et de les présenter à un large public.
Le Textilab est une matériauthèque. Il joue un rôle central pour la compréhension générale de ce qu’est le textile. Il permet de faire comprendre ses spécificités. Par exemple, on y apprend ce qui compose les bases des différentes fibres (naturelles, artificielles, synthétiques…). On y découvre des prototypes étonnants créés et utilisés par l’industrie comme le PLA de Betterave ou très rares comme quelques centimètres de tissu 100% en fil de soie d’araignée. Dans le Textilab, le public a une expérience tactile du textile et de ses composant à travers des échantillons.
La liste est très longue. Plus de 250 créateurs ont été invités et parfois ont réalisé une commande spécifique pour Futurotextiles… je vous en livre quelques-uns, que ceux que je ne cite pas me pardonnent. Certains étaient déjà très connus d’autres parfois étaient au début de leur carrière.
Virgil Abloh, Anrealage, Manish Arora, Stéphane Ashpool, François Azambourg, Bina Baitel, Shigeru Ban, Mario Bellini, Ronan et Erwan Bouroullec, Véronique Boyens, Xavier Brisoux, Daniel Buren, Pierre Cardin, Carnovsky, Hussein Chalayan, Courrèges, Matali Crasset, Casey Curran, Clara Daguin, Berlinde Debruyckere, Jean-Charles de Castelbajac, Elisabeth de Sennevile, Jan Fabre, Bertrand Gadenne, Jeremy Gobe, Tzuri Guetta, Jacquemus, Choi Jeong Hwa, Tony Jouanneau, Ross Lovegrove, Stéphanie Marin, Lucy McRae & Bart Hess, Janaïna Milheiro, Hans-Walter Müller, Jum Nakao, Mika Ninagawa, On aura tout vu, Lucy Orta, Design Percept, Laure Prouvost, Arne Quinze, Paco Rabanne, Eric Raisina, Karim Rashid, Pablo Reinoso, Daan Roosegaarde, Ditta Sandico, Devorah Sperber, Max Streicher, Walter Van Beiredonck, Tom Van der Borght, Yiqing Yin, Tokujin, YoShioka…
Lorsque l’on parle d’innovations et de nouvelles tendances dans une exposition, il est impératif de se pencher sur les très jeunes créateurs. J’ai souvent travaillé avec de jeunes plasticiens ou des écoles de mode, d’arts appliqués, les écoles d’ingénieurs en France ou à l’étranger (Turquie, Indonésie, Maroc, Pologne, Japon…) et associé leurs récentes recherches et créations.
Ainsi, dernièrement, les jeunes créateurs Natsuho Hama et Ouju Ninomiya de la promotion 2025 d’ESMOD Tokyo ont eu leur place dans Futurotextiles 7 à Osaka. L’idée est à la fois de montrer les nouvelles perspectives qu’ils apportent dans le secteur, tout en leur offrant une visibilité intéressante alors qu’ils commencent tout juste leur carrière. Lille3000 a décidé cette année de décerner un premier prix Futurotextiles à l’intention des jeunes créateurs.
La liste exhaustive serait trop longue ! Les entreprises sont en recherche et adaptation permanente des tendances et de leurs nouvelles applications. Certaines malheureusement, en 20 ans, ont disparu, tandis que d’autres se sont créées… c’est un monde qui se renouvelle perpétuellement. En voici quelques-unes qui me viennent à l’esprit et qui ont été présentées dans les plus récentes expositions. Une majorité est située en France et dans l’Euro-région lilloise, comme Basaltex, Isomatex, Decathlon, Dentelle de Calais-Caudry-Solstiss, Juin Fait le Lin, Les Manufactures de la Lys – Jules Pansu, Lemaitre et Demeestere Safilin, Sophie Halette, Van Robaeyes Frères, U-Exist, ou bien encore les réseaux Clubtex et Euramaterials.
Difficile de choisir et faire rapide ! J’en citerai peut-être 2 : la fibre de basalte et la fibre de lin. C’est une de celles qui me fascine le plus. La fibre de basalte provient de la roche volcanique, qui est un excellent isolant thermique et acoustique, et qui conserve des propriétés mécaniques, même à des températures élevées. Elle possède surtout un haut degré d’isolation thermique et est retardant à la flamme. Un fil est produit à partir de cette roche et est ainsi biodégradable dans l’environnement après son rejet.
J’aime également à citer la fibre de lin qui est étonnante. Utilisée depuis l’antiquité, elle est en perpétuelle redécouverte. Elle présente des propriétés uniques en flexion. C’est une fibre naturelle très longue, très résistante, thermorégulatrice qui intéresse l’industrie des composites. Elle est particulièrement éco-responsable car sa culture nécessite peu d’eau.
Ce développement est assez récent. Une entreprise de Taiwan a mis au point dans les années 2000 une nouvelle fibre en récupérant les tonnes de déchets de café produit quotidiennement. Ce marc de café torréfié est ensuite mélangé à du polyester fabriqué à partir de bouteilles recyclées. Un fil en est extrudé.
Cette innovation intéresse beaucoup l’industrie des vêtements sportifs. En effet, ce textile possède 3 propriétés :
1) il neutralise les odeurs,
2) il est anti-UV
3) il sèche très rapidement.
Par exemple, à partir de cette technique, il est possible de fabriquer un T-shirt avec 3 tasses de marc de café et 5 bouteilles en plastique recyclées.
En effet, nous avons eu la chance de compter sur le soutien fidèle de la région Hauts-de-France, de la Métropole Européenne de Lille et la ville de Lille. L’Institut Français, que j’évoquais plus tôt, nous a accompagnés pour plusieurs expositions. Nous avons également pu compter, au fil des ans, sur les soutiens de réseaux industriels du textile que j’évoquais plus haut comme Clubtex, Euramaterials ou encore l’Union des Industries Textiles & Habillement du Nord (UITH).
L’attrait et la curiosité du public pour le processus de fabrication du textile et ses innovations, ainsi que l’évolution de ce secteur, qui, bien qu’il soit au centre des débats aujourd’hui concernant son empreinte écologique, ne cesse de se renouveler et devenir de plus en plus soucieux de l’environnement et du devenir de la planète.